Manga Lulu Williams Cameroun, b. 1994

Manga Lulu Williams place le contexte social, politique et culturel de son pays au cœur de sa pratique artistique. Depuis l’âge de 15 ans, il est inspiré par son environnement et les événements qui l’entourent. Son œil aiguisé et sa grande empathie lui permettent de comprendre les gens qu'il rencontre, de les écouter et de les représenter de la manière la plus authentique possible.

Manga Lulu a suivi une formation académique classique à l’École des Beaux-Arts de Foumban durant trois ans, dont il sort diplômé en 2018. Il y étudie la photographie, la psychologie, l’anthropologie et l’histoire de l’art. Cela exercera une influence considérable sur ses compositions et sa technique.

 

CONTEXTE POLITIQUE

Au Cameroun, dans la région anglophone où vit Manga Lulu, une guerre civile fait rage depuis 2016 et fait des civils une monnaie d’échange. Ancienne colonie allemande, le Traité de Versailles prévoit la division du Kamerun en deux : un mandat français (Cameroun français) et un mandat britannique (Cameroun britannique). La région française comprend alors la majeure partie de l’ancien territoire allemand, tandis que le territoire britannique couvre une bande de terre le long de la frontière avec le Nigeria, le Cameroun septentrional (aujourd’hui partie du Nigéria) et le Cameroun méridional (actuelle région dans l’ouest du pays).

Ces frontières coloniales successives ont entaché les relations liant les Camerounais entre eux. La population anglophone, sous le joug de lois discriminatoires, estime que la législation ne leur accorde pas les mêmes droits que la population francophone. Depuis 2017, des groupes séparatistes se posent en substitut de l’État et font la loi. L’impact du conflit sur les Camerounais est immense et difficilement imaginable : villes désertes, couvre-feu, check- points, interdiction arbitraire du port de certains types de vêtements, de certaines couleurs... Exécutions publiques et sommaires, incendies de maisons et mutilations corporelles rythment la vie des Camerounais anglophones. De nombreuses familles mixtes ont été séparées et des mariages dissous en raison du conflit.

 

Pour Manga Lulu Williams, difficile d’imaginer un dénouement à ce conflit qui génère des profits pour les groupes séparatistes. De cette tragédie naît sa vocation : devenir le porte-parole de son peuple, des victimes. Il souhaite "devenir la voix de ceux qui ont le souffle coupé".
En raison du conflit, l'artiste commence à présenter les symptômes d’une dépression. Il se rend à l’hôpital où on lui diagnostique un stress post-traumatique. S’en suit un long parcours d’acceptation, de guérison et de dialogue avec les soignants mais également avec les autres patients. Face à ces événements et malgré les tabous coriaces de la société africaine autour de la dépression, de nombreux Camerounais de toutes origines sociales ont entamé une thérapie depuis cette période. Manga Lulu va alors à la rencontre de ces personnes d’horizons divers, dont les histoires sont imprégnées de la même odeur d’horreur.

 

Ces histoires, ce sont tout à la fois celle de cet homme qu’il a rencontré sur le bord d’une route, assis sur un banc, qui venait de subir l’incendie de sa maison et la mutilation de sa main (Another story) ou cette femme rencontrée dans un groupe de parole qui a vu périr son époux et ses deux enfants (To daffodils 1).

 

C’est aussi celle de ce jeune homme à la doudoune noire qui aurait pu lui couter la vie en raison de sa couleur, interdite par les séparatistes (All eyes on us) .

 

C’est aussi une femme, qui apaise sa douleur en regardant la mer : elle s’y rend comme à un pèlerinage afin de se libérer de ses peines (To daffodils 2). Au milieu du chaos, elle retisse des liens avec la nature et trouve la force de survivre.

 

Manga Lulu peint l’être humain. Il voit ce conflit comme une conséquence du manque d’humanité et de fraternité qui touche l’ensemble de la planète. Il représente ces personnages dans leur dimension la plus totale, sans signe d’appartenance à un groupe de population en particulier.

 

L'artiste estime que son traumatisme sera toujours présent sans possibilité de guérison totale. C’est la raison pour laquelle il laisse des arrières-plans non terminés. Une manière de donner au spectateur l’occasion d’achever son œuvre et de devenir à son tour le porte-parole des populations opprimées.