Les langages du sacré
Tiffanie Delune, Philippe Sène : du sensible à la cosmogonie, puis au sens
D’abord, le regard.
Avant l’information, les notices et les dates : la sensation. Des formes biomorphiques qui se lovent, ondulent, se répondent. Des lignes serpentines qui tantôt chuchotent, tantôt martèlent. Des matières qui captent la lumière ou l’absorbent. La peinture et autres : textiles suspendus, papiers, fils, paillettes, tissages. Un peu comme une peau que l’on effleure des yeux. C’est par là qu’on entre, par le frisson de la couleur et du rythme, par ce moment où l’image cesse d’être motif pour devenir une présence, un monde à part, un lieu de passage.
Chez Philippe Sène, les figures surgissent avec la netteté d’un chant ancien : aplats francs, noirs entremêlés, torsions souples, sourires totémiques. Le Pangol de la danse (1991) vibre comme un tambour ; Camb alé (le puits sacré) (1991) ouvre une bouche d’ombre ; Pangol (1973), à l’encre, ramasse l’énergie dans une forme-talisman. Ici, l’huile et la gouache sculptent une mythologie qui ne raconte pas, mais agit. Elle prend, elle porte, elle danse.
Chez Tiffanie Delune, la palpitation est circulaire, organique, traversée de pétales, d’arches, d’astres. Cartography of the Heart IV (techniques mixtes sur textile) rayonne depuis un centre qui se déplace comme un souffle. The River Dances et Shed My Ego, Feed My Spirit déplient leurs constellations d’encres, de papiers, de pigments, de fils qui tracent des rayons et des cycles, comme des gestes d’alchimie douce, réparatrice. Peinture et autres : ici la matière panse, relie, recolle les fragments du monde.
Alors, une intuition s’impose : celle de mondes au-delà de la perception. Non pas l’illustration d’un folklore, mais le déplacement de l’attention : l’œil bascule du visible à l’invisible. Ce que Castaneda appelait « changer de tonalité » : sortir de l’évidence, consentir à la vision. L’exposition accompagne ce mouvement. On regarde, on ajuste, on laisse la forme ouvrir. Puis l’on comprend.
Texte par / Text by Shiran Ben Abderrazak

